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 Nous partirons à la prochaine vague ! Nous avons fait près de 600 km  chacun de notre côté durant ces douze semaines d’entraînement, Il n’en reste que 42,195  à faire, quasiment rien, une broutille...
  Dimanche 2 avril, marathon de Paris 2023. J’ai assisté au concert de Yves Jamait vendredi dernier. Il a commencé seul sur scène avec une bande son en chantant « Une Vie ». Les premiers mots de la chanson résonne encore en moi


J'arrive
 J'arrive
Je suffoque et je crie
Je respire, surpris…


Il respire anxieux à coté de moi. « Il » c’est mon neveu, mon neveu préféré, il faut dire que j’en ai qu’un. Si j’en avais plusieurs ,ce que j’aurais aimé ! Je suis sûr qu'il serait l’un de mes préférés sinon plus… Je n’ai aussi qu’un fils préféré, qu’une fille, qu’un frère, qu’une sœur… Que des amours préférés (oui c'est toi mon préféré et ma plus belle aventure)…
Mon neveu a débarqué de Turquie, il y a deux jours, moi de Bretagne hier (oui la bretagne c’est un pays)...
C'est mon huitième marathon et  son premier ! 
C’est notre tour !  
Nous partons ! 
Je suis sa cadence !
 1er Kilomètre, 1er kilomètre. Il me faut toujours une chanson pour accompagner mes marathons, aujourd’hui ce sera  «  une vie », Une vie au l’on court (non ce n’est pas une faute d’orthographe mais un jeu de mots)   
Tout va bien, notre cadence est lente mais peu importe, le tout c’est d’arriver. Mon neveu aimerait être sous les 4 heures mais je n’y crois pas trop. Il semblait déçu que je lui dise ça... 
 Cinquième kilomètres, Ravitaillement  


J'ai cinq ans
( cinq kilomètres)
J'ai appris à marcher
J'ai appris à parler
Mais aussi à me taire

 Nous habitons loin l’un de l’autre, mon neveu et moi mais lorsqu’il était enfant il passait ses vacances d’été avec moi et ses cousins. Je ne sais pas trop s’il se rappelle de ses cinq ans, moi je m’en rappelle. Je me souviens de l’équilibre que j’essayais de garder entre lui et mes enfants et aussi l’attention que j’avais de ne pas me substituer à ses parents. Je ne voulais pas non plus qu’ils se taisent, je voulais qu’ils aient leur places d’enfants et moi celle d’adulte, un adulte un peu figé qui a une vie en dehors de leur regards, de leurs préoccupations…

J'ai dix ans
(dix kilomètres)
La lune me fait peur
Dans les bras de ma sœur
Je me love et me terre


    Ta mère me racontait des histoires pour m’endormir quand j’étais enfant et plus tard  adolescent elle a su faire taire mes peurs en me dessinant un futur rêvé dont elle me disait qu’il était à ma portée. Je pense souvent à ça quand je parle avec des personnes qui perdent pied, j'aimerai rendre les sourires qui m'ont aidé.

J'ai quinze ans
(Quinze kilomètres)
C'est la métamorphose
Je sens que quelque chose
Au fond de moi s'opère


    Mon neveu accélère, les kilomètres défilent, plus rien ne l’arrête, l’adolescence est conquérante, le désir est fort. Je me sens un peu largué… C’est ainsi, à l’adolescence, les enfants, les neveux veulent davantage, Ils veulent vivre plus fort, plus vite, vivre autrement… Parents nous espérons ce moment, nous espérons qu’il en soit ainsi.  Parents nous maudissons ce moment, nous angoissons qu’il en soit ainsi mais ... Quelle fierté … Il nous faut nous accrocher...Ne pas les laisser trop s’éloigner  pour ne pas les perdre … 
Je tiens son accélération et rajoute la mienne, Tonton n’est pas vieux ! Qu’est-ce que tu crois, petit con !


J'ai vingt ans
(vingt kilomètres)
Des vieux qui se croient sages
Disent que c'est le bel âge
Que j'aurai l'âge de faire

Nous arrivons à la moitié de la course, à partir de là je n’additionne plus les kilomètres, je les soustraits , je ne dis plus « déjà 21 Km, je pense : plus que 21 ». J’ai couru le marathon de Paris également l’année dernière. Mentalement, ça a été très difficile… Je ne voudrais pas craquer, je me dois d’être encore un père, un tonton, un frère...

vingt cinq ans
(25 kilomètres)
Je bois jusqu’à vomir
Et je lis l’avenir 
dans la lie de la bière


Vingt cinq ans, l'âge de mon neveu… Ses vingt cinq ans sont bien différents des miens, Le temps passe? souvent s’accélère parfois s’arrête… Il a tout les pouvoirs, celui d’effacer ou de se souvenir… Dans notre course aujourd’hui il représente un combat…

J'ai trente ans
(30 kilomètres)
Je voudrais réagir
Mais je boxe de l'air


Nous passons par les quais de la seine, nous passons plusieurs tunnels avec les montées à suivre qui nous obligent à des efforts supplémentaires à un moment de la course (le mur des 30 km) qui est par nature difficile, Nous passons près de terrasses de café où trônent des bières. En passant j’ai l’ impression d’entendre le bruit de la mousse qui lentement se défait… Si la maison faisait crédit je resterai là à boire, boire, boire jusqu’à croire que le monde est raisonnable et est prêt à luter pour sa survie.

Trente-cinq ans
(35 kilomètres)
Je sais que maintenant
Rien ne sera comme avant
J'ai très peur, mais je gère


Nous sommes encore sur une bonne allure en arrivant au ravitaillement. Mais voilà, la plupart ne sont plus assez lucides pour éviter les bousculades et il est difficile de s’extraire des stands. 
Je me rends compte que j’ai les  jambes lourdes, je m’accroche et arrive à relancer ma course mais mon neveu ne suit plus derrière…
 Je connais ça pour l’avoir vécu plusieurs fois. Il n’y a plus de force, plus de foi, juste un désir de néant, de vide et d’absences, l’envie de s’absenter de l’univers puisqu’il nous laisse tomber...
Je me dis qu’il faut que je l’amène avec moi puisque nous ne sommes plus très loin mais mon moral est bas également… Soudain mes enfants et l’amoureux de ma fille sont là à brandir des pancartes et à gueuler des encouragements. Je gueule aussi, mon neveu n’a même plus la force de sourire. L’amoureux de ma fille court pour nous prendre en  photos. Je souris à pleine dent, j’en oublie de rabattre mes cheveux vers l’avant – oui souvent sur les photos on croit que j’ai un début de calvitie alors que j’ai juste une implantation haute - 
le sourire ne me lâche plus, mes jambes sont légères… Nous les aurons nos quatre heures mon neveu, tonton est immortel, immortel, j’accélère, je ralentis, je l’aspire. À un moment je me dois de le faire rire: Je lève les bras au ciel et parle fort « Oh seigneur Rocky que ta lumière soit sur moi » Personne autour ne rit, ne sourit. Ils sont tous laminés, exténués... 


Quarante ans
(Quarante kilomètres)
Alors monte la fièvre
Et tant pis si j'en crève


Nous y sommes, nous y sommes, des larmes montent, les larmes d’une vie qui ne respectent pas l’ordre établi. Cependant il faut garder la foi, la naïveté et sublimer les instants présents…
La ligne d’arrivée est en vue, le public encourage avec ferveur tout le monde, ceux qui peuvent encore, ceux qui ne peuvent plus, ceux qui pleurent, ceux qui sourient, ceux qui lèvent les bras, ceux qui tombent. Le monde pourrait être beau, soyons acteurs. Je prends la main de mon neveu, il semble surpris… Moins de quatre heures… Les enfants (Oui Tonton peut encore dire enfant) ont toujours raison ...

lepoetedusiecle

 

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